top of page

Pour l'anniversaire de Louis XX - Eglise Saint-Roch - Homélie du Fr. Augustin Pic, O.P.


Beau jour, mes Frères, que celui qui nous rassemble en ce saint lieu. Beau jour en raison de l'octave pascale et de sa gloire, beau jour parce que nous sommes à la veille de la fête de la sainte Couronne dont une épine est exposée sur cet autel, beau ensuite parce que, dédié ainsi que tous les autres samedi à la BVM, nous y puisons un peu de la joie qu'Elle eût de revoir Son Fils ressuscité, beau pareillement parce que c'est l'avant veille de la fête de l'Apôtre S. Marc à qui nous devons un évangile dont l'instant le plus fort peut-être est l'Abba, Père, du Christ au jardin des Oliviers, beau enfin parce que c'est l'avant veille aussi de la naissances de saint Louis et de celle de son successeur actuel, lequel, de loin mais de cœur, est avec nous pour cet anniversaire anticipé, comme l'a montré le message que nous venons d'entendre.


Méditons un instant sur cette Couronne sainte et sur le saint roi qui la fit venir. Roi qui voulut en faire, dans le splendide écrin que la Sainte chapelle a cessé d'être, hélas, le cœur de Paris et celui du Royaume comme elle l'était de son propre coeur. Et qui de la sorte entendait mettre la Passion du Sauveur au centre de tout, des institutions publiques, à réformer toujours, et du quotidien de tous et de chacun, dont la réforme, on le sait, n'est pas moins urgente que celles des institutions, et même encore plus. Car il se sentait chargé non seulement du temporel, que tout roi doit gérer selon la volonté de Dieu, qui aime et respecte ce temporel dont Il est l'auteur et le gouvernant, mais encore du spirituel, puisque, selon lui et conformément à la doctrine la plus traditionnelle, les choses de la terre, transitoires par nature, n'étaient à promouvoir, en leur consistance et selon leur finalité propre, certes, qu'en vue des choses du ciel. Conception du métier de roi qui le mit - faut-il le rappeler ? - en décalage certain par rapport aux évolutions du temps, encouragées tant chez les princes, par laïcisme naissant, que par les pontifes romains eux-mêmes, soucieux - et on les comprend - de préserver en pleine lutte du Sacerdoce et de l'Empire la liberté de l'Eglise face à la rapacité des puissances séculières. La réforme grégorienne avait en effet poussé à une séparation plus franche que jamais : au clergé le spirituel, aux princes le temporel. Notre Louis, donc, ne l'entendait pas tout à fait ainsi. Et Joinville de rapporter qu'en maintes occasions, il avait meilleure vue et plus efficace au service de la foi qu'un certain clergé, parfois bien mondain, il est vrai. Conception du métier de roi dont on trouvera l'écho dans les réflexions du jeune futur Louis XVI, qui écrivait : Régner c'est connaître et faire connaître Dieu.


Saint Louis, un roi qui vécut cette Passion qui sauve, et dont la sainte couronne est à la fois l'instrument de jadis et le symbole toujours actuel, au plus profond de lui-même. D'où ce désintéressement dans l'engagement royal jusque dans le service du temporel qui força le respect de tous les princes et souverains du temps, les Sarrasins compris. D'où, aussi, ce programme journalier de moine pénitent et contemplatif, dans les duretés de la croisade autant que dans les honneurs de son palais, qui, jusqu'au fidèle Joinville certains jours, agaçait l'entourage, exceptés les quelques-uns qui avaient quelque peu le sens de Dieu, dont le même Joinville certains autres jours, plus spirituels. N'était-il pas le disciple de Celui qui se cachait au désert lorsqu'on tentait de le faire roi selon la manière humaine d'entendre la chose ? De Celui qui ne vint en ce monde que pour passer de ce monde à Son Père et nous y élever ? De là les dernières paroles, à double sens, de l'agonisant de Tunis : Nous irons en Jérusalem. En Jérusalem comme fin assignée à la croisade, en Jérusalem comme achèvement du pèlerinage de tout chrétien en ce monde, fût-il roi. Et c'est bien ce que la liturgie a retenu, tant pour la sainte couronne le 23 avril : Accordez, nous Vous en supplions, Dieu tout-puissant, que, vénérant sur la terre en mémoire de Sa Passion la couronne d'épines de Notre Seigneur Jésus-Christ, nous méritions d'être par Lui couronnés de gloire et d'honneur aux cieux, que pour la saint Louis le 25 août : Dieu qui avez transféré le bienheureux Louis, Votre confesseur, d'un royaume terrestre à la gloire du royaume céleste, faites de nous, nous vous en prions, par ses mérites et son intercession, les participants du Roi des rois Jésus-Christ Votre Fils.


Spiritualité de roi très chrétien qui allait rester longtemps au cœur de la conscience française. Preuve en sont ces quelques lignes, consignées - qui l'eût cru ? - par Sanson le bourreau dans son Journal au 21 janvier 1794, et qui reprennent, sciemment peut-être, la substance de ces deux belles oraisons : Il y a aujourd’hui une année, jour pour jour, que nous avons conduit le roi. Ce matin, la citoyenne Sanson était réveillée avant moi, si pâle et si défaite que j’ai deviné que les rêves l’avaient tourmentée ; moi aussi dans mon sommeil, je l’avais revu. Elle s’est levée et, à peine habillée, elle s’est mise en prières. Comme je tournais et virais dans la chambre, elle m’a dit que je devais bien prier aussi… cependant, depuis deux ans, je me suis tout doucement affranchi de ce que j’avais toujours regardé comme mon premier devoir ; si bien que j’ai été tout étonné et que j’ai répondu comme une bête : ‘Prier, et pour qui ?’. La femme a pleuré avec sanglots ; alors je me suis repris et j’ai dit : ‘Dieu est juste, il lui a donné le ciel pour royaume, en échange de celui-ci, qu’a-t-il besoin de nos prières ? Prions pour nous qui avons de son sang sur les mains’. Alors m’étant agenouillé, j’ai récité les répons.


Mes bien chers Frères, en ce jour où la France, quel que soit le chef qu'elle aura demain, restera loin soyons-en sûrs de ce qui ferait son salut, prions avec ferveur pour une vraie réforme de nos institutions, certes, mais surtout travaillons sans attendre et plus que jamais à celle de nos pensées, de nos discours et de nos comportements, puisque c'est toujours par la conversion des individus, soutenus les uns par les autres, que Dieu fait et refait de siècle en siècle l'éducation de Son Peuple saint. Puissions-nous, vénérant sur la terre, comme le fit saint Louis, la couronne d'épines de Notre Seigneur Jésus-Christ, aller un jour en Jérusalem pour y être nous aussi couronnés de gloire et d'honneur.


Fr. Augustin Pic, O.P.
















Posts à l'affiche